L'empathie, c'est une qualité de chiotte. Mais bon, c'est une qualité quand même.
Un psy a dit un jour « Attention à ce que votre empathie ne devienne pas de la sympathie ».
J'essaie d'appliquer ce précepte tous les jours, et parfois c'est difficile.
Je pensais avoir beaucoup progressé.
J'AI beaucoup progressé.
Mais pas autant que je l'aurais espéré.
Je croyais ne plus pouvoir me laisser envahir par la peine des autres. Ne plus m'identifier à leur situation et du coup ne plus en souffrir.
Et bien QUE NENNI.
A peine montée dans la voiture, que dis-je, à peine au courant du décès de MrPlaieVivante, je savais que j'allais m'effondrer.
Je le connais depuis avant mon installation.
Je remplaçais leur médecin habituel, et quand je me suis installée, ils m'ont suivie.
On s'entendait bien, MrPlaieVivante et moi, on se tiscagnait à chaque fois que j'y passais, avec moult clins d'oeil.
Et elle me racontait invariablement le menu précédent et la java faite la nuit par MrPlaieVivante (bim, clin d'oeil du concerné).
Mes premières visites étaient pour les renouvellements.
Puis il y a eu un petit AIT, avec refus d'hospitalisation par la famille.
Puis une rétention aigüe d'urine, ayant nécessité une hospitalisation courte.
Au retour, le fauteuil roulant a été obligatoire.
Puis une occlusion, ayant nécessité une hospitalisation longue, mal supportée par le patient, avec un refus d'alimentation et une dégradation monstrueuse de l'état cutané.
On a donc fait un retour à domicile, avec passage d'infirmières 2 fois par jour pour le lever et le coucher et les soins de pansement. Et pour la toilette.
Vu le caractère matriarcal de MmePlaieVivante, j'ai eu toutes les peines du monde à faire rester les infirmières. Chacun a fait des concessions et on a continué. Je prescrivais des pansements, les infirmières faisaient ce qu'elles voulaient (mais pas ce que je prescrivais).
J'en ai eu marre et j'ai envoyé à la consultation des plaies. On a eu des protocoles écrits pour que les infirmières arrêtent de faire tout et surtout n'importe quoi (je ne critique pas les IDE libérales en général, bien au contraire. Mais là, elles ont vraiment abusé).
Les plaies ont finalement cicatrisé en environ 10 mois.
Les kinés le faisaient marcher un peu, aux barres parallèles. J'espérais vraiment qu'il puisse remarcher avec un déambulateur, une foisque les plaies ont été guéries.
Et puis vlam, l'AVC massif. Vu comment s'était passée la dernière hospitalisation, la famille a refusé le transport à l'hôpital.
J'ai expliqué longuement à MmePlaieVivante que ça n'allait pas s'améliorer, qu'on ne pourrait pas remonter cette pente là.
Je n'ai peut-être pas pris le temps nécessaire. Je n'ai peut-être pas utilisé les mots adéquats. Je n'ai pas prononcé le mot « mourir », je l'avoue. Et probablement que j'aurais du. Je le saurais pour la prochaine fois.
J'ai prescris les soins de confort et je suis partie.
Hier matin, il est décédé, dans son sommeil et dans celui de sa femme. Sans souffrance, sans plainte, calmement.
Je me suis précipitée chez eux, en tentant de me préparer à la rencontre dans la voiture.
Quand je suis arrivée, je suis rentrée comme chez moi, je n'ai pas sonné comme d'habitude, je n'ai pas attendu qu'on vienne m'ouvrir.
Et elle m'a serrée dans ses bras et a sangloté contre moi.
Elle m'a demandé ce qu'elle allait faire maintenant qu'elle était toute seule.
Et son angoisse m'a envahie.
Et qu'est ce que je ferais si un jour TeddyBear venait à mourir ?
Comment je pourrais survivre à un tel cataclysme dans ma vie ?
Comment tenir face à la solitude, face à la certitude de ne jamais pouvoir recroiser son regard et son sourire, de ne jamais sentir son odeur et de ne plus pouvoir me lover dans ses bras ?
Comment peut-on vivre après ça ?
Je n'en ai aucune idée, elle non plus. Et c'est ça qui est le plus effrayant, selon moi, dans le décès d'un proche.
Le fait de rester, de n'être pas parti en même temps.
J'y suis repassée hier, voir MmePlaieVivante. Elle a parlé environ 1 heure, de souvenirs principalement, de ses enfants, de son métier.
J'ai quand même réussi à glisser qu'après s'être occupé de tout le monde, elle allait maintenant devoir s'occuper d'elle, qu'il fallait s'y préparer, et qu'il faudrait faire des choix en fonction de ses envies à elle, et plus en fonction des envies de son mari ou de ses enfants.
Et mine de rien, quand elle m'a dit qu'elle n'avait jamais fait ça et que ça lui faisait un peu peur, et bien je l'ai totalement comprise.
Je n'ai pas progressé autant que je l'aurais espéré.
Mais je sais maintenant prendre le recul nécessaire pour comprendre pourquoi et comment je peux me laisser embarquer dans ce genre de situation.
Empathie, quand tu nous tiens...