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20 juin 2012 3 20 /06 /juin /2012 10:31

Pascale a 4 enfants. Deux « appartiennent » à son mari, d'un précédent mariage. Les deux derniers « sont » à eux deux.

 

Elle vient toujours pour un de ses enfants.

 

Elle est commerciale dans une entreprise française bien connue de téléphonie.

Lui, que je n'ai jamais vu, est en formation professionnelle, rémunéré par les ASSEDIC. Elle ne gagne pas des tonnes non plus au vu du temps sacrifié au boulot.

 

Elle adore ses enfants. De toutes ses forces. Les siens autant que ceux de son mari.

 

Elle le dit, mais surtout ça se voit. Quand elle parle de ses enfants, quand elle les regarde, elle a cette clarté, cette joie qui inonde son visage, comme quelqu'un de très pieu qui regarde Jésus sur sa croix.

Sa maternité, c'est sa foi. Ses enfants sont ses chefs religieux.

Elle les couve. Elle les protège et veut le meilleur pour eux, quoi qu'il en coute.

Quitte même à s'y perdre.

 

Et elle déteste avec autant de force son boulot.

Ce boulot qui l'oblige à rentrer dans un moule. A ne plus avoir la possibilité d'exprimer son avis. A devoir mentir à ses clients, pour rentrer dans les chiffres de vente de ses autres collègues.

Elle couvre un secteur correspondant à 3 départements... Autant vous dire qu'en une journée, elle fait autant de kilomètres que moi en une semaine de visite (et pourtant, je fais pas mal de visites).

 

Elle n'en peut plus de ce boulot qui ne lui ressemble pas, dans lequel elle se sent flétrir et faner.

Et d'ailleurs, ça se voit aussi. Quand elle parle de son boulot, on dirait qu'une petit lanterne s'éteint dans ses yeux, dans son sourire (qu'elle continue à garder malgré tout).

Elle le dit elle-même, elle est prise au piège, bloquée dans cette situation pour des raisons financières.

 

Mais voilà, le dégoût pour son travail a fini par prendre le dessus sur tout.

Elle parle pudiquement d'angoisse et de fatigue.

J'utilise les termes de burn-out et très vite de dépression.

Elle sait mais ne peut pas l'accepter. Enfin, pas si vite.

Alors on fait un premier arrêt de travail. On met des médicaments pour lutter contre le stress, mais pas des benzo, ni des hypnotiques malgré ses troubles du sommeil. On aborde le principe de fonctionnement et l'intérêt de l'antidépresseur.

Et puis je lui donne les coordonnées du CMP. Elle n'a pas tellement envie d'y aller, mais « fera un effort ».

 

Avec les semaines, le repos et le temps de réflexion qui va avec, elle commence à accepter.

Elle revient pour demander une prolongation sans trop culpabiliser.

Elle dit que finalement, elle ne dort vraiment pas bien.

Que le CMP c'est chouette, et qu'ils vont lui prendre rendez-vous avec un psy qui fait de l'hypnose et de l'EMDR*. Et elle a hâte.

On lui a parlé au CMP des antidépresseurs, elle en comprend bien l'intérêt dans son cas, mais non, elle veut s'en sortir sans cette béquille chimique qui, dans son image fantasmée, la rendrait « différente », une « autre » elle. Elle veut être totalement maître d'elle et de ses sentiments pour ses enfants. Même si elle se rend compte qu'elle est plus émotive et moins patiente, et qu'elle crie plus souvent.

 

Et puis elle parle. D'elle.

Pas de ses enfants qu'elle adore. Pas de son boulot tout pourri qui la bouffe et qui l'étouffe. Pas de son mari qui la soutient du mieux qu'il peut.

 

D'elle. De ses envies, de ses douleurs.

De ses angoisses à retourner travailler, qu'elle décrit comme une phobie.

De ses projets de formation dans le milieu paramédical.

Elle ébauche une reflexion sur ses relations avec ses parents décédés, qu'elle met en lien avec ses choix professionnels.

Et puis elle s'arrête très vite.

 

Elle a fait des progrès très importants en 1 mois.

Très rapides selon moi.

Largement pas assez selon elle.

Je la revois dans un mois, et je sais qu'elle aura à nouveau franchi un pas immense.

 

Et avec un peu de chance, elle ne viendra pas pour un de ses enfants malade.

Elle viendra pour sa maladie à elle.

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commentaires

D
Etonnant au final comme on en connait plein qui pourraient se reconnaître... tant de personnes si différentes et pourtant si semblables.
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M
Très bien décrit !<br /> Il faut dire que j'ai un exemple qui m'est très proche...<br /> Dit-elle que son mari "ne la comprend pas" ?
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B
<br /> <br /> Non, la patiente dont je parle non. Mais toutes les autres dans le même schéma le disent oui.<br /> <br /> <br /> Bon courage pour la personne que tu connais et qui est touchée<br /> <br /> <br /> <br />